Note de 2007.

Critique de la composition.

Non pas de la composition en elle-même, comme en elle-même elle le fut :  une architecture, une ingénierie du temps, un don au visible, une chosification (ou une englaciation), la notation du transmissible et de la preuve : une cartographie (qui fît apparaître des communications). Mais le regret de ce qu’ayant suivi la pente universelle et le temps des hommes, la composition se fût écrasée où se sont écrasés les esprits chuteurs, ou chutant : elle s’est écrasée sous le poids de l’orgueil (du moi académique) et de la pire obsession instrumentale (l’outil-roi), la jouissance du moyen magique, de la technicalité,  cette intelligence-moteur que l’âme appauvrie aime à ériger en jeu total et en faux dieu.

« Une architecture, une ingénierie du temps, un don au visible, une chosification, la notation du transmissible et de la preuve : une cartographie (qui fît apparaître des communications). »

Le compositeur a voulu dépasser en science (appliquée) la nécessité naturelle. Il a voulu faire de la musique plus que musique, une autre chose : la concentration-miroir de ses appétits démiurgiques, l’animal en cage de sa création ratée.


 

Note de 2021.

Recyclage.

Il y a également une improvisation dans la sphère de l’écriture musicale et dont je n’ai pas encore parlé ici. J’en ai retenté l’aventure à plusieurs reprises après 2006 (1) pour ma part au moyen de transformations d’une matière brute, le plus souvent une improvisation enregistrée, mais qui peut être une œuvre musicale écrite en son exécution — une partition préexiste donc en ce cas.  Il s’agit alors de capter la matière musicale en y intégrant une part de hasard, un hasard qui dans mon cas est la marge d’erreur de l’appareil de captation. Cette marge devient alors le terreau de développements parallèles propres à dévier l’œuvre initiale et à en découvrir la renaissance ou la transfiguration. Nous sommes dans la continuation des musiques aléatoires.

Ces développements seconds emprunteront soit des méthodes manuelles de type composition conventionnelle, soit des méthodes informatiques de calcul, sur la base d’éléments discrets (au sens mathématique ou linguistique d’unités distinctes, délimitables — les notes ou les mesures en sont un exemple), ou encore des méthodes numériques de transformation sur la base du matériau (comme le timbre) ou du continuum (comme le tempo et l’articulation) (1).   L’esprit de création et le bon goût deviennent ensuite les outils d’un travail de remise en forme et de raffinement. Il y a là en tout ça une analogie avec le palimpseste, sans doute, mais surtout avec le recyclage.

Je donne ici la définition (technique) du terme, issue de mon vieux Lexis (l’un des plus formidables dictionnaires, en passant, et l’un des plus mal connus — j’ai l’édition de 1975, qui appartenait à ma mère).

Recyclage. — Action de réintroduire dans une fraction d’un circuit un fluide ou des matières qui l’ont déjà parcourue, lorsque leur transformation est incomplète par un passage unique.

Noviaus Tanz.

Je reviendrai sur le sujet dans ce journal et donnerai des exemples tirés de mon œuvre Noviaus Tanz (2012), où les parties de violon et de violoncelle, interprétées par deux instrumentistes, ont été captées pour servir de matériau à leur propre accompagnement, après leur réintroduction sous forme d’instrumentation virtuelle (3).


(1) J’avais tout de même l’expérience de 1982 et 1983 avec mon Edro Erdrosed, variantes  I & II — Erdro Erdrosed I, pour magnétophones, exécutants-improvisateurs et auditoire. Créée à la galerie Véhicule Art de Montréal sous la direction du compositeur, les 22 et 23 mai 1982.
25:00.
Erdro Erdrosed II, pour 6 magnétophones et 3 exécutants-improvisateurs (guitare, clarinette et piano). Créée au Musée d’Art contemporain de Montréal, sous la direction du compositeur, les 1er et 2 octobre 1983. 60:00.

(2). J’utilise pour ce faire différents logiciels. Sibelius et Dorico pour ce qui est de la composition conventionnelle, puis notamment Pro Tools et Cubase pour ce qui est des transformations numériques, de même que l’extraordinaire Melodyne dans sa version complète.

(3). J’ai alors utilisé les cordes solo et une partie du séquenceur interne de la Vienna Symphonic Library.

In Retour à la musique, Juin 2006
Carnet de notes 1. Poétique et système de l’improvisation.

Une danse.

Tout semble avoir été composé. Faux, sauf en ce sens où nous sommes allés, en Occident, aussi loin que faire se peut. Les œuvres à venir se répètent déjà en puissance. Pensons au cinéma, lieu intense (et machinique) de toutes les codifications.

La danse. Claude Marc Bourget, 1980. Crayons gras sur papier vélin. (44 x 29 cm)

La danse. Claude Marc Bourget, 1981. Crayons gras sur papier vélin. (44 x 29 cm)

Le geste musical, lui, est autre chose. Je veux dire : le fait de jouer. L’acte-son, où l’on touche (pousse ou tire) et regarde ce son, cet acte. L’art de l’interprétation, en ce sens, a sa place, très haut sur l’échelle du réel et des phénomènes. L’improvisation ne doit pas moins l’avoir, qui est une interprétation (cf. Les mathématiques et le geste). Si du moins elle se tient debout sur la cime des civilisations (en musique et parole), observant de l’ouïe et rappelant à elle, à nous, à l’oreille du monde, comme dans une libre danse des temps, l’écho des morts, et surtout des plus magnifiques.


Du robot

Écrire la musique ne vaut plus grand chose. Devant le tout composé, avec un univers de machine et d’aide-machine, la mathématique musicale, comme le mauvais goût, sinon le bon et même l’intuition de l’écriture, de la composition, sont blessés à mort. Seule l’improvisation, si elle a sa science, sait échapper, échappe aux appareils de la surconstruction, du surhumain inutile, du robot auquel est inaccessible la parfaite imperfection.

Machine-homme. Claude Marc Bourget, 1981. Crayons gras, encre et ruban adhésif sur papier vélin. (66 x 102 cm)

In Retour à la musique, Juin 2006
Carnet de notes 1. Poétique et système de l’improvisation.

Les mathématiques et le geste.

La musique a trop tenu aux notes, à ses mathématiques, laissant à l’indescriptible, ou au difficilement transmissible, la question du geste. La musique improvisée est d’abord un geste, geste d’interprétation, mais interprétation de la mémoire historique et phénoménale, en tant qu’elle  fut musique, entre autres, et qu’elle est musique réformant mémoire même et donnant, redonnant au souvenir. Boucle ou spirale, vivante. Les mathématiques, elles, en sont le squelette, la carte des chemins, routes, et structures invisibles et sans corps dont la fonction est de tenir la chair par l’équation, dessin muet de l’équilibré.

In Retour à la musique, Juin 2006
Carnet de notes 1. Poétique et système de l’improvisation.

Prolégomènes.

Il est besoin d’une musique qui parlât plus qu’à l’oreille mais au sens intérieur, comme le dit Goethe au sujet de Shakespeare (en opposition cependant à la vue). « Le sens intérieur est plus clair encore, qui reçoit la transmission la plus forte et la plus rapide par l’entremise de la parole », écrit-il.

Que l’on veuille bien remplacer l’idée de parole, ici, ou du mot, par l’événement sonore, s’il fait sens (il faut que le mot existe pour faire parole). Je ne suggère pas que la musique fût la parole (si même elle en vient, j’en suis convaincu); je dis que la musique est éclairée par le chemin de la parole, et que notre intelligence du musical gagne à visiter de telles analogies.

Jouer, donc, pour le sens intérieur.


Goethe. — Cercle de couleur symbolisant l’esprit et l’âme humaine, 1809

Post-scriptum.
Encore Goethe : « La couleur est l’expression et la souffrance de la lumière. » Je le paraphrase : le timbre est l’expression et la souffrance du son.

 

In Retour à la musique, Juin 2006
Carnet de notes 1. Poétique et système de l’improvisation.

En juin 2006, après deux décennies de recherche et d’écriture, je revenais à la musique, comme à de premières amours. Plusieurs albums ont marqué ce retour, du temps qu’il s’en faisait encore, soit au piano, d’abord, puis en chanson par la suite. S’y intercalèrent des compositions dites de musique sérieuse, pour violon, ensemble ou orchestre, parfois avec des apports numériques. Or, depuis les pièces pour piano totalement libres, sans préparation d’aucune sorte, si ce ne sont les habitudes du jeu et des découvertes, jusqu’aux compositions mêmes, malgré leur aspect formel au final, en passant par la création musicale des chansons, l’improvisation fut et demeure au cœur des processus. À tel point qu’il me fut toujours impossible, comme pianiste et chanteur, de jouer-chanter deux fois la même pièce, le même passage, le même air, du moins avec détail et précision.

En toute musique

La chose est plus marquée à l’instrument. Si bien que je n’ai jamais pu apprendre et jouer traditionnellement une pièce classique, peu importe laquelle, si même le papier de tous les Bach et les Brahms, les Debussy et les Satie, les Stravinsky et les Schoenberg, les blues et les jazz tardent de toujours sur mon piano et mes étagères. À tout âge, en toute musique, je n’ai pu qu’improviser. Avec le temps, devant ce fait de nature, ce mystérieux trait, je me suis intéressé au phénomène. Je ne veux pas dire en moi-même, si même l’expérience de soi en est une du monde et que le praticien doit se connaître pour connaître son art. Je veux dire objectivement, de l’extérieur.

D’où ces notes, qui sont une espèce de regard, parfois macroscopique, parfois pleine largeur.