De une à quinze (souffle et parole) / fin du cycle des chansons.

Au cours du temps, de mon temps à moi, de celui, dis-je, qui m’est imparti, et que je ne mesure pas encore complètement, peu s’en faut, je me suis vu arrêter maintes choses. Non pas pour arrêter en soi, dans un stop des fluides, contre un mur d’incréation, mais pour un autre vol, où s’affrontent un cycle épuisé et tous les jeunes cycles possibles, printemps qui attendent, avec leurs hirondelles d’idées, et dont un seul arrivera, mieux annoncé. J’y suis une autre fois.

Solitude d’une voix inhabituelle, sauvage et comme inventée, solitude de l’Idée (entrouvrir de l’inexploré), du Faire (improviser le maniement), de l’Art (viser une beauté, même inconnue), du But (être en chanson comme au théâtre).

Que dire de l’ancien, celui que je quitte et qui me quitte ? J’y ai donné beaucoup de moi, mais dans la solitude. Une solitude publiée, certes, mais une solitude. Solitude d’une voix inhabituelle, sauvage et comme inventée, solitude de l’Idée (entrouvrir de l’inexploré), du Faire (improviser le maniement), de l’Art (viser une beauté, même inconnue), du But (être en chanson comme au théâtre). Solitude enfin des techniques, dont celles du son. Je n’explique pas davantage. Le cycle est clos.

 


Cf. claudemarcbourget.com/category/chanson/

Mon édition annotée.

Voici cette édition de poche* qui m’a donné l’admirable poète. Elle est bien fatiguée de mes consultations, comme on le voit.

Puis deux pages annotées, pour la composition.

 

* BONNEFOYYVESDu mouvement et de l’immobilité de Douve, Paris, 1970, Gallimard, 224 p.,  (Collection poésie).

De l’interprétation

S’agissant d’interpréter ces textes, j’ai choisi, malgré la tentation, de ne rien lire à leur propos. L’œuvre de Bonnefoy, qui fut lui-même professeur au Collège de France, attire l’exégèse et fait le bonheur de l’appareil universitaire. Elle offre le labyrinthe de ses vers, le clair-obscur de son vocabulaire, les détours étagés de ses chemins d’images, de ses vues éclair du lieu et de l’histoire, sur la route de l’être intérieur et de la beauté vivante, aux docteurs ès chose écrite, dans les hautes écoles de lecture, en une opulente industrie du sens et de l’explication. Rien de professoral, pourtant, dans cette libre écriture. L’artiste aura su peindre à ciel ouvert, au-delà de l’atelier, avec le pinceau des étoiles et de la conscience, avant la chute vers le Savoir et les domaines de la Terre.

Je lis et chante comme il me vient, tel un promeneur.

Rien des doctorants et de l’Université ne me concerne (une fois oubliées celles de Paris et de Bologne, au temps premiers). Je lis et chante comme il me vient, tel un promeneur, porté par le mot, la figure, le trait, et maintenu par le climat, le décor, une certain odeur du vers et de sa cible apparaissant au dernier point de la courbe, puis les vacillements parfois improbables, mais toujours conductibles, du rythme, cassé, repris, recassé, fuyant et revenant, prodigue. Il est une douce électricité, chez Bonnefoy, qui injecte notre intuition, nous charge. Cela suffit à l’entendre et à le chanter.

 

J’ai obtenu un accord, il y a peu, via le Mercure de France, son éditeur, pour mettre en chanson deux poèmes d’Yves Bonnefoy — poète magnifique, décédé le 1er juillet 2016 à Paris.  Il s’agit de Menaces du témoin (in Hier régnant désert) et de Dévotion, tous deux parus entre autres à la nrf dans la collection Poésie (mon édition) * .

Je conserverai le titre de Dévotion pour le second, mais le premier aura pour nom, une fois en chanson, Que voulais-tu ?, amorce du premier vers du poème et de son distique :

« Que voulais-tu dresser sur cette table, / Sinon le double feu de notre mort ? » * .

La poésie de Bonnefoy est une poésie rare, à la fois intrigante, ou inattendue, et naturelle (on en capte d’instinct les premières lueurs), — en même temps mystique et matérielle. On y sent les hautes sphères atterries dans les choses, et ces choses pénétrées d’on ne sait quel esprit, peut-être du leur, peut-être du nôtre, ou de l’espace ancien, mais renaissant, des dieux libres.

« À ces deux salles quelconques, pour le maintien des dieux parmi nous. »,

est-il clamé au terme de Dévotion * .

 


*  YVES BONNEFOY, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, suivi de Hier régnant désert, 1970, Paris, Les éditions Gallimard (nrf), Collection poésie, 224 p. / © Mercure de France. Il s’agit en fait de son premier recueil, recueil auquel je m’en tiendrai dans ces pages et qui présente, je crois, toute la semence de l’œuvre à venir.